Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/296

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un méchant éclair dans l’esprit du Gascon ; il poussa vers l’homme et l’aborda.

— Voyageur, demanda-t-il, n’attendez-vous point quelque chose ?

Le voyageur regarda Sainte-Maline, dont en ce moment, il faut l’avouer, l’aspect n’était point agréable.

La figure décomposée par la colère récente, cette boue mal séchée sur ses habits, ce sang mal séché sur ses joues, de gros sourcils noirs froncés, une main fiévreuse étendue vers lui, avec un geste de menace bien plus que d’interrogation, tout cela parut sinistre au piéton.

— Si j’attends quelque chose, dit-il, ce n’est pas quelqu’un ; et si j’attends quelqu’un, à coup sûr ce quelqu’un n’est pas vous.

— Vous êtes fort impoli, mon maître ! dit Sainte-Maline, enchanté de trouver enfin une occasion de lâcher la bride à sa colère, et furieux en outre de voir qu’il venait, en se trompant, de fournir un nouveau triomphe à son adversaire.

Et en même temps qu’il parlait, il leva sa main armée de la houssine pour frapper le voyageur ; mais celui-ci leva son bâton et en asséna un coup sur l’épaule de Sainte-Maline ; puis il siffla son chien, qui bondit aux jarrets du cheval et à la cuisse de l’homme, et emporta de chaque endroit un lambeau de chair et un morceau d’étoffe.

Le cheval, irrité par la douleur, prit une seconde fois sa course en avant, il est vrai, mais sans pouvoir être retenu par Sainte-Maline, qui, malgré tous ses efforts, demeura en selle.

Il passa ainsi emporté devant Ernauton, qui le vit passer sans même sourire de sa mésaventure.

Lorsqu’il eut réussi à calmer son cheval, lorsque M. de Carmainges l’eut rejoint, son orgueil commençait, non pas à diminuer, mais à entrer en composition.

— Allons ! allons ! dit-il en s’efforçant de sourire, je suis