Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/305

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un autre que moi ; j’aime l’or quand c’est une autre main qui le touche ; je suis orgueilleux toujours par comparaison ; je bois pour échauffer en moi la colère, c’est-à-dire pour la rendre aiguë quand elle n’est pas chronique, c’est-à-dire pour la faire éclater et brûler comme un tonnerre. Oh ! oui, oui, vous l’avez dit, monsieur de Carmainges, je suis malheureux.

— Vous n’avez jamais essayé de devenir bon ? demanda Ernauton.

— Je n’ai pas réussi.

— Qu’espérez-vous ? que comptez-vous faire alors ?

— Que fait la plante vénéneuse ? Elle a des fleurs comme les autres, et certaines gens savent en tirer une utilité. Que font l’ours et l’oiseau de proie ? Ils mordent ; mais certains éleveurs savent les dresser à la chasse ; voilà ce que je suis et ce que je serai probablement entre les mains de M. d’Épernon et de M. de Loignac jusqu’au jour où l’on dira : Cette plante est nuisible, arrachons-la ; cette bête est enragée, tuons-la.

Ernauton s’était calmé un peu.

Sainte-Maline n’était plus pour lui un objet de colère, mais d’étude ; il ressentait presque de la pitié pour cet homme que les circonstances avaient entraîné à lui faire de si singuliers aveux.

— Une grande fortune, et vous pouvez la faire ayant de grandes qualités, vous guérira, dit-il ; développez-vous dans le sens de vos instincts, monsieur de Sainte-Maline, et vous réussirez à la guerre ou dans l’intrigue ; alors, pouvant dominer, vous haïrez moins.

— Si haut que je m’élève, si profondément que je prenne racine, il y aura toujours au-dessus de moi des fortunes supérieures qui me blesseront ; au-dessous, des rires sardoniques qui me déchireront les oreilles.

— Je vous plains, répéta Ernauton.

Et ce fut tout.