Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/312

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cet homme, et qui ai tout entendu de mes oreilles ; moi qui lui ai posé la main sur l’épaule pour l’empêcher de continuer ; car au train dont il allait, il eût, avec quelques paroles de plus, compromis tant d’intérêts sacrés que j’eusse été forcé de le poignarder sur la place, si à mon premier avertissement il ne fût demeuré muet.

On vit en ce moment Pertinax de Montcrabeau et Perducas de Pincorney pâlir et se renverser presque défaillants l’un sur l’autre. Montcrabeau, tout en chancelant, essaya de balbutier quelques excuses.

Aussitôt que, par leur trouble, les deux coupables se furent dénoncés, tous les regards se tournèrent vers eux.

— Rien ne peut vous justifier, Monsieur, dit Loignac à Montcrabeau ; si vous étiez ivre, vous devez être puni d’avoir bu ; si vous n’étiez que vantard et orgueilleux, vous devez être puni encore.

Il se fit un silence terrible.

M. de Loignac avait, on se le rappelle, en commençant, annoncé une sévérité qui promettait de sinistres résultats.

— En conséquence, continua Loignac, monsieur de Montcrabeau, et vous aussi, monsieur de Pincorney, vous serez punis.

— Pardon, Monsieur, répondit Pertinax ; mais nous arrivons de province, nous sommes nouveaux à la cour, et nous ignorons l’art de vivre dans la politique.

— Il ne fallait pas accepter cet honneur d’être au service de Sa Majesté sans peser les charges de ce service.

— Nous serons à l’avenir muets comme des sépulcres, nous vous le jurons.

— Tout cela est bon, Messieurs ; mais réparerez-vous demain le mal que vous avez fait aujourd’hui ?

— Nous tâcherons.

— Impossible, je vous dis, impossible !

— Alors pour cette fois, Monsieur, pardonnez-nous.

— Vous vivez, reprit Loignac sans répondre directement