Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/67

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— Moi aussi, je pense quelquefois à ma maîtresse.

— Oui, mais pas toujours.

— Moi aussi, j’ai des contrariétés, des chagrins même.

— Oui, mais vous avez aussi des joies, car on vous aime.

— Oh ! j’ai de grands obstacles aussi ; on exige de moi de grands mystères.

— On exige ? Vous avez dit : On exige, mon frère ? Si votre maîtresse exige, elle est à vous.

— Sans doute qu’elle est à moi, c’est-à-dire à moi et à M. de Mayenne ; car, confidence pour confidence, Henri : j’ai justement la maîtresse de ce paillard de Mayenne, une fille folle de moi, qui quitterait Mayenne à l’instant même, si elle n’avait peur que Mayenne ne la tuât : c’est son habitude de tuer les femmes, tu sais. Puis je déteste ces Guise, et cela m’amuse… de m’amuser aux dépens de l’un d’eux. Eh bien ! je te le dis, je te le répète, j’ai parfois des contraintes, des querelles, mais je n’en deviens pas sombre comme un chartreux pour cela : je n’en ai pas les yeux gros. Je continue de rire, sinon toujours, au moins de temps en temps. Voyons, dis-moi qui tu aimes, Henri : ta maîtresse est-elle belle au moins ?

— Hélas ! mon frère, ce n’est point ma maîtresse.

— Est-elle belle ?

— Trop belle.

— Son nom ?

— Je ne le sais pas.

— Allons donc !

— Sur l’honneur.

— Mon ami, je commence à croire que c’est plus dangereux encore que je ne pensais. Ce n’est point de la tristesse, par le pape ! c’est de la folie.

— Elle ne m’a parlé qu’une seule fois, ou plutôt elle n’a parlé qu’une seule fois devant moi, et depuis ce temps je n’ai pas même entendu le son de sa voix.

— Et tu ne t’es pas informé ?