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— À qui ?

— Comment ! à qui ? aux voisins.

— Elle habite une maison à elle seule et personne ne la connaît.

— Ah çà ! mais, est-ce une ombre ?

— C’est une femme grande et belle comme une nymphe, sérieuse et grave comme l’ange Gabriel.

— Comment l’as-tu connue ? où l’as-tu rencontrée ?

— Un jour je poursuivais une jeune fille au carrefour de la Gypecienne ; j’entrai dans le petit jardin qui atteint à l’église, il y a là un banc sous les arbres. Êtes-vous jamais entré dans ce jardin, mon frère ?

— Jamais ; n’importe, continue ; il y a là un banc sous des arbres, après ?

— L’ombre commençait à s’épaissir ; je perdis de vue la jeune fille, et, en la cherchant, j’arrivai à ce banc.

— Va, va, j’écoute.

— Je venais d’entrevoir un vêtement de femme de ce côté, j’étendis les mains.

« Pardon, Monsieur, me dit tout à coup la voix d’un homme que je n’avais pas aperçu, pardon. »

Et la main de cet homme m’écarta doucement, mais avec fermeté.

— Il osa te toucher. Joyeuse ?

— Écoute : cet homme avait le visage caché dans une sorte de froc, je le pris pour un religieux ; puis il m’imposa par le ton affectueux et poli de son avertissement, car en même temps qu’il me parlait, il me désignait du doigt, à dix pas, cette femme dont le vêtement blanc m’avait attiré de ce côté, et qui venait de s’agenouiller devant ce banc de pierre comme si c’eût été un autel.

Je m’arrêtai, mon frère. C’est vers le commencement de septembre que cette aventure m’arriva : l’air était tiède ; les violettes et les roses que font pousser les fidèles sur les tombes de l’enclos m’envoyaient leurs délicats parfums ; la lune dé-