Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/21

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pas du même coup fait broder sur la même bourse la lettre qu’il m’envoie porter à son beau-frère, et mon reçu. Pourquoi nous gêner ? Tout le monde politique est au grand air aujourd’hui : politiquons comme tout le monde. Bah ! quand on assassinerait un peu ce pauvre Chicot, comme on a déjà fait du courrier que ce même Henri envoyait à Rome, M. de Joyeuse, ce serait un ennemi de moins, voilà tout, et les amis sont si communs par le temps qui court, qu’on peut en être prodigue. Que Dieu choisit mal quand il choisit ! Maintenant, voyons d’abord ce qu’il y a d’argent dans la bourse, nous examinerons la lettre après : cent écus ! juste la même somme que j’ai empruntée à Gorenflot. Ah ! pardon, ne calomnions pas : voilà un petit paquet… de l’or d’Espagne, cinq quadruples. Allons ! allons ! c’est délicat ; il est bien gentil, Henriquet ! eh ! en vérité, n’étaient les chiffres et les fleurs de lis, qui me paraissent superflus, je lui enverrais un gros baiser. Maintenant cette bourse-là me gêne ; il me semble que les oiseaux, en passant au-dessus de ma tête, me prennent pour un émissaire royal et vont se moquer de moi, ou, ce qui serait bien pis, me dénoncer aux passants.

Chicot vida sa bourse dans le creux de sa main, tira de sa poche le simple sac de toile de Gorenflot, y fit passer l’argent et l’or en disant aux écus :

— Vous pouvez demeurer tranquillement ensemble, mes enfants, car vous venez du même pays.

Puis, tirant à son tour la lettre du sachet, il y mit en sa place un caillou qu’il ramassa, referma les cordons de la bourse sur le caillou et le lança, comme un frondeur fait d’une pierre, dans l’Orge, qui serpentait au-dessous du pont.

L’eau jaillit, deux ou trois cercles en diaprèrent la calme surface, et allèrent, en s’élargissant, se briser contre ses bords.

— Voilà pour moi, dit Chicot ; maintenant, travaillons pour Henri.