Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/274

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son passage ; ceux des quarante-cinq qui n’avaient pas monté l’escalier blâmaient sans doute tout bas la violence de leurs camarades.

Ernauton conduisit la duchesse à sa litière gardée par deux serviteurs.

Arrivée là et se sentant en sûreté, la duchesse serra la main de Carmainges et lui dit :

— Monsieur Ernauton, après ce qui vient de se passer, après l’insulte dont, malgré votre courage, vous n’avez pu me défendre, et qui ne manquerait pas de se renouveler nous ne pouvons plus revenir ici ; cherchez, je vous prie, dans les environs, quelque maison à vendre ou à louer en totalité ; avant peu, soyez tranquille, vous recevrez de mes nouvelles.

— Dois-je prendre congé de vous, Madame ? dit Ernauton, en s’inclinant en signe d’obéissance aux ordres qui venaient de lui être donnés, et qui étaient trop flatteurs à son amour-propre pour qu’il les discutât.

— Pas encore, monsieur de Carmainges, pas encore ; suivez ma litière jusqu’au nouveau pont, dans la crainte que ce misérable qui m’a reconnue pour la dame de la litière, mais qui ne m’a point reconnue pour ce que je suis, ne marche derrière nous et ne découvre ainsi ma demeure.

Ernauton obéit, mais personne ne les espionna.

Arrivée au pont Neuf, qui alors méritait ce nom, puisqu’il y avait à peine sept ans que l’architecte Ducerceau l’avait jeté sur la Seine, arrivée au pont Neuf, la duchesse tendit la main aux lèvres d’Ernauton en lui disant :

— Allez maintenant, Monsieur.

— Oserai-je vous demander quand je vous reverrai, Madame ?

— Cela dépend de la hâte que vous mettrez à faire ma commission, et cette hâte me sera une preuve du plus ou du moins de désir que vous aurez de me revoir.

— Oh ! Madame, en ce cas, rapportez-vous-en à moi.