Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/37

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railleuse qui divertissait ses compagnons, ni les coups de muscat et de bourgogne qui entretenaient sa verve. On avait fait bon marché entre commerçants, c’est-à-dire entre gens libres de Sa Majesté le roi de France et de toutes les autres majestés, fussent-elles de Lorraine, de Navarre, de Flandre ou d’autres lieux.

Or, Chicot s’alla coucher après avoir donné, pour le lendemain, rendez-vous à ses quatre épiciers, qui l’avaient pour ainsi dire triomphalement conduit à sa chambre.

Maître Chicot se trouvait donc gardé comme un prince, dans son corridor, par les quatre voyageurs dont les quatre cellules précédaient la sienne, sise au bout du couloir, et par conséquent inexpugnable, grâce aux alliances intermédiaires.

En effet, comme à cette époque les routes étaient peu sûres, même pour ceux qui n’étaient chargés que de leurs propres affaires, chacun s’était assuré de l’appui du voisin en cas de malencontre.

Chicot, qui n’avait pas raconté ses mésaventures de la nuit précédente, avait poussé, on le comprend, à la rédaction de cet article du traité, qui avait au reste été adopté à l’unanimité.

Chicot pouvait donc, sans manquer à sa prudence accoutumée, se coucher et s’endormir. Il pouvait d’autant mieux le faire qu’il avait, par renfort de prudence, visité minutieusement la chambre, poussé les verrous de sa porte et fermé les volets de sa fenêtre, la seule qu’il y eût dans l’appartement ; il va sans dire qu’il avait sondé la muraille du poing, et que partout la muraille avait rendu un son satisfaisant.

Mais il arriva, pendant son premier sommeil, un événement que le sphinx lui-même, ce devin par excellence, n’aurait jamais pu prévoir ; c’est que le diable était en train de se mêler des affaires de Chicot, et que le diable est plus fin que tous les sphinx du monde.