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Le paysan ne se le fit pas dire deux fois, et retourna les poches des morts.

Les morts avaient eu bonne solde de leur vivant, à ce qu’il paraît, car, l’opération terminée, le front du paysan se dérida. Il résulta du bien-être qui se répandait dans son corps et dans son âme à la fois qu’il piqua plus rudement ses bœufs, afin d’arriver plus vite à sa chaumière.

Ce fut dans l’étable de cet excellent catholique, sur un bon lit de paille, que M. de Mayenne reprit ses sens. La douleur causée par la secousse du transport n’avait pas réussi à le ranimer ; mais quand l’eau fraîche versée sur la blessure en fit couler quelques gouttes de sang vermeil, le duc rouvrit les yeux et regarda les hommes et les choses environnantes avec une surprise facile à concevoir.

Dès que M. de Mayenne eut rouvert les yeux, Ernauton congédia le paysan.

— Qui êtes-vous, Monsieur ? demanda Mayenne.

Ernauton sourit,

— Ne me reconnaissez-vous pas, Monsieur ? lui dit-il.

— Si fait, reprit le duc en fronçant le sourcil, vous êtes celui qui est venu au secours de mon ennemi.

— Oui, répondit Ernauton ; mais je suis aussi celui qui a empêché votre ennemi de vous tuer.

— Il faut bien que cela soit, dit Mayenne, puisque je vis, à moins toutefois qu’il ne m’ait cru mort.

— Il s’est éloigné vous sachant vivant, Monsieur.

— Au moins croyait-il ma blessure mortelle.

— Je ne sais, mais en tout cas, si je ne m’y fusse opposé, il allait vous en faire une qui l’eût été.

— Mais alors, Monsieur, pourquoi avez-vous aidé à tuer mes gens, pour empêcher ensuite cet homme de me tuer ?

— Rien de plus simple, Monsieur, et je m’étonne qu’un gentilhomme, vous me semblez en être un, ne comprenne pas ma conduite. Le hasard m’a conduit sur la route que vous suiviez, j’ai vu plusieurs hommes en attaquer un seul,