Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/79

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vait fermer les yeux là-dessus, et Loignac fermait les yeux.

Néanmoins, lorsque la trompette avait sonné, tout ce monde devenait soldat et esclave d’une discipline rigoureuse, sautait à cheval et se tenait prêt à tout.

À huit heures on se couchait l’hiver, à dix heures l’été ; mais quinze seulement dormaient, quinze autres ne dormaient que d’un œil, et les autres ne dormaient pas du tout.

Comme il n’était que cinq heures et demie du soir, Sainte-Maline trouva son monde debout, et dans les dispositions les plus gastronomiques de la terre.

Mais d’un seul mot il renversa toutes les écuelles.

— À cheval, Messieurs ! dit-il.

Et laissant tout le commun des martyrs à la confusion de cette manœuvre, il expliqua l’ordre à MM. de Biran et de Chalabre.

Les uns, tout en bouclant leur ceinturon et en agrafant leur cuirasse, entassèrent quelques larges bouchées humectées par un grand coup de vin ; les autres, dont le souper était moins avancé, s’armèrent avec résignation.

M. de Chalabre seul, en serrant le ceinturon de son épée d’un ardillon, prétendit avoir soupé depuis plus d’une heure.

On fit l’appel.

Quarante-quatre seulement, y compris Sainte-Maline, répondirent.

— M. Ernauton de Carmaignes manque, dit M. de Chalabre, dont c’était le tour d’exercer les fonctions de fourrier.

Une joie profonde emplit le cœur de Sainte-Maline et reflua jusqu’à ses lèvres, qui grimacèrent un sourire, chose rare chez cet homme au tempérament sombre et envieux.

En effet, aux yeux de Sainte-Maline, Ernauton se perdait immanquablement par cette absence sans raison, au moment d’une expédition de cette importance.