Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 2.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

passez ? Mais non, Monsieur s’est éloigné au grand galop, après avoir poussé un ah ! qui m’a fait tressaillir au fond de ma litière.

— J’étais forcé de m’éloigner, Madame.

— Par vos scrupules ?

— Non, Madame, par mon devoir.

— Allons, allons, dit en riant la dame, je vois que vous êtes un amoureux raisonnable, circonspect, et qui craignez surtout de vous compromettre.

— Quand vous m’auriez inspiré certaines craintes, Madame, répliqua Ernauton, y aurait-il rien d’étonnant à cela ? Est-ce l’habitude, dites-moi, qu’une femme s’habille en homme, force les barrières et vienne voir écarteler en Grève un malheureux, et cela avec force gesticulations plus qu’incompréhensibles, dites ?

La dame pâlit légèrement, puis cacha pour ainsi dire sa pâleur sous un sourire.

Ernauton poursuivit.

— Est-il naturel, enfin, que cette dame, aussitôt qu’elle a pris cet étrange plaisir, ait peur d’être arrêtée et fuie comme une voleuse, elle qui est au service de madame de Montpensier, princesse puissante, quoique assez mal en cour ?

Cette fois, la dame sourit encore, mais avec une ironie plus marquée.

— Vous avez peu de perspicacité, Monsieur, malgré votre prétention à être observateur, dit-elle ; car, avec un peu de sens, en vérité, tout ce qui vous paraît obscur vous eût été expliqué à l’instant même. N’était-il pas bien naturel d’abord que madame la duchesse de Montpensier s’intéressât au sort de M. de Salcède, à ce qu’il dirait, à ses révélations fausses ou vraies, fort propres à compromettre toute la maison de Lorraine ? Et si cela était naturel, Monsieur, l’était-il moins que cette princesse envoyât une personne sûre, intime, dans laquelle elle pouvait avoir toute confiance pour assister à l’exécution, et constater de visu,