Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/190

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Chicot, toujours de l’autre côté de la table, prit une chaise et s’assit tranquillement

— Mon Dieu ! que ces soldats sont stupides ! dit-il en haussant les épaules. Cela prétend savoir manier une épée, et le moindre bourgeois, si c’était son bon plaisir, les tuerait comme mouches. Allons, bien ! il va m’éborgner maintenant. Ah ! tu montes sur la table ; bon ! il ne manquait plus que cela. Mais prends donc garde, âne bâté que tu es, les coups de bas en haut sont terribles, et, si je le voulais, tiens, je t’embrocherais comme une mauviette.

Et il le piqua au ventre, comme il l’avait piqué au front.

Borromée rugit de fureur, et sauta en bas de la table.

— À la bonne heure ! dit Chicot ; nous voilà de plain-pied, et nous pouvons causer tout en escrimant. Ah ! capitaine, capitaine, nous assassinons donc quelquefois comme cela dans nos moments perdus, entre deux complots ?

— Je fais pour ma cause ce que vous faites pour la vôtre, dit Borromée, ramené aux idées sérieuses, et effrayé, malgré lui, du feu sombre qui jaillissait des yeux de Chicot.

— Voilà parler, dit Chicot, et cependant, l’ami, je vois avec plaisir que je vaux mieux que vous. Ah ! pas mal.

Borromée venait de porter à Chicot un coup qui avait effleuré sa poitrine.

— Pas mal, mais je connais la botte ; c’est celle que vous avez montrée au petit Jacques. Je disais donc que je valais mieux que vous, l’ami, car je n’ai point commencé la lutte, quelque bonne envie que j’en eusse ; il y a plus, je vous ai laissé accomplir votre projet, en vous donnant toute latitude, et même encore, dans ce moment, je ne fais que parer ; c’est que j’ai un arrangement à vous proposer.

— Rien ! s’écria Borromée, exaspéré de la tranquillité de Chicot, rien !

Et il lui porta une botte qui eût percé le Gascon d’outre en outre, si celui-ci n’eût pas fait, sur ses longues jambes, un pas qui le mit hors de la portée de son adversaire.