Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/225

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— C’est là une absurde pensée, permettez-moi de vous le dire, Henri, car enfin, quiconque veut s’isoler est seul partout. Mais, soit, le cloître. Eh bien ! je comprends que vous soyez venu vers moi pour me parler de ce projet. Je connais des bénédictins fort savants, des augustins très-ingénieux, dont les maisons sont gaies, fleuries, douces et commodes. Au milieu des travaux de la science ou des arts, vous passerez une année charmante, en bonne compagnie, ce qui est important, car on ne doit pas s’encrasser en ce monde, et si, au bout de cette année, vous persistez dans votre projet, eh bien ! mon cher Henri, je ne vous ferai plus opposition, et moi-même vous ouvrirai la porte qui vous conduira doucement au salut éternel.

— Vous ne me comprenez décidément pas, mon frère, répondit du Bouchage en secouant la tête, ou plutôt votre généreuse intelligence ne veut pas me comprendre : ce n’est pas un séjour gai, une aimable retraite que je veux, c’est la claustration rigoureuse, noire et morte ; je tiens à prononcer mes vœux, des vœux qui ne me laissent pour toute distraction qu’une tombe à creuser, qu’une longue prière à dire.

Le cardinal fronça le sourcil et se leva de son siège.

— Oui, dit-il, j’avais parfaitement compris, et j’essayais, par ma résistance sans phrases et sans dialectique, de combattre la folie de vos résolutions ; mais vous m’y forcez, écoutez-moi.

— Ah ! mon frère, dit Henri avec abattement, n’essayez pas de me convaincre, c’est impossible.

— Mon frère, je vous parlerai au nom de Dieu d’abord, de Dieu que vous offensez, en disant que vient de lui cette résolution farouche : Dieu n’accepte pas des sacrifices irréfléchis. Vous êtes faible, puisque vous vous laissez abattre par la première douleur ; comment Dieu vous saurait-il gré d’une victime presque indigne que vous lui offrez ?

Henri fit un mouvement.