Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/226

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— Oh ! je ne veux plus vous ménager, mon frère, vous qui ne ménagez personne d’entre nous, reprit le cardinal ; vous qui oubliez le chagrin que vous causerez à notre frère aîné, à moi…

— Pardon, interrompit Henri, dont les joues se couvrirent de rougeur, pardon, Monseigneur : le service de Dieu est-il donc une carrière si sombre et si déshonorante, que toute une famille en prenne le deuil ? Vous, mon frère, vous dont je vois le portrait en cette chambre, avec cet or, ces diamants, cette pourpre, n’êtes-vous pas l’honneur et la joie de notre maison, bien que vous ayez choisi le service de Dieu, comme mon frère aîné celui des rois de la terre.

— Enfant ! enfant ! s’écria le cardinal avec impatience, vous me feriez croire que la tête vous a tourné. Comment ! vous allez comparer ma maison à un cloître ; mes cent valets, mes piqueurs, mes gentilshommes et mes gardes, à la cellule et au balai, qui sont les seules armes et la seule richesse du cloître ! Êtes-vous en démence ? N’avez-vous pas dit tout à l’heure que vous repoussez ces superfluités qui sont mon nécessaire, les tableaux, les vases précieux, la pompe et le bruit ? Avez-vous, comme moi, le désir et l’espoir de mettre sur votre front la tiare de saint Pierre ? Voilà une carrière, Henri ; on y court, on y lutte, on y vit ; mais vous ! vous, c’est la sape du mineur, c’est la bêche du trappiste, c’est la tombe du fossoyeur que vous voulez ; plus d’air, plus de joie, plus d’espoir ! Et tout cela, j’en rougis pour vous qui êtes un homme, tout cela parce que vous aimez une femme qui ne vous aime pas ! En vérité, Henri, vous faites tort à votre race !

— Mon frère ! s’écria le jeune homme pâle et les yeux flamboyants d’un feu sombre, aimez-vous mieux que je me casse la tête d’un coup de pistolet, ou que je profite de l’honneur que j’ai de porter une épée pour me l’enfoncer dans le cœur ? Pardieu ! Monseigneur, vous qui êtes cardinal et prince, donnez-moi l’absolution de ce péché mortel, la chose