Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/237

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Mais comme, en quelque situation d’esprit que fût le comte, il avait été élevé à ne jamais négliger ses devoirs envers le roi ou les princes de la maison de France, il s’informa avec le plus grand soin de la partie du château qu’habitait le prince depuis son retour.

Le hasard envoyait, sous ce rapport, un excellent cicérone à Henri ; c’était ce jeune enseigne dont une indiscrétion avait, dans le petit village de Flandre où nous avons fait faire une halte d’un instant à nos personnages, livré au prince le secret du comte ; celui-ci n’avait pas quitté le prince depuis son retour, et pouvait parfaitement renseigner Henri.

En arrivant à Château-Thierry, le prince avait d’abord cherché la dissipation et le bruit ; alors il habitait les grands appartements, recevait matin et soir, et, pendant la journée, courait le cerf dans le forêt, ou volait à la pie dans le parc ; mais depuis la nouvelle de la mort d’Aurilly, nouvelle arrivée au prince sans que l’on sût par quelle voie, le prince s’était retiré dans un pavillon situé au milieu du parc ; ce pavillon, espèce de retraite inaccessible, excepté aux familiers de la maison du prince, était perdu sous le feuillage des arbres, et apparaissait à peine au-dessus des charmilles gigantesques et à travers l’épaisseur des haies.

C’était dans ce pavillon que, depuis deux jours, le prince s’était retiré ; ceux qui ne le connaissaient pas disaient que c’était le chagrin que lui avait causé la mort d’Aurilly qui le plongeait dans cette solitude ; ceux qui le connaissaient prétendaient qu’il s’accomplissait dans ce pavillon quelque œuvre honteuse ou infernale qui, un matin, éclaterait au jour. L’une ou l’autre de ces suppositions était d’autant plus probable, que le prince semblait désespéré quand une affaire ou une visite l’appelait au château ; si bien qu’aussitôt cette visite ou cette affaire achevée, il rentrait dans sa solitude, servi seulement par deux vieux valets de chambre qui l’avaient vu naître.