Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/238

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— Alors, fit Henri, les fêtes ne seront pas gaies, si le prince est de cette humeur.

— Assurément, répondit l’enseigne, car chacun saura compatir à la douleur du prince, frappé dans son orgueil et dans ses affections,

Henri continuait de questionner sans le vouloir, et prenait un étrange intérêt à ces questions ; cette mort d’Aurilly qu’il avait connu à la cour, et qu’il avait revu en Flandre ; cette espèce d’indifférence avec laquelle le prince lui avait annoncé la perte qu’il avait faite ; cette réclusion dans laquelle le prince vivait, disait-on, depuis cette mort ; tout cela se rattachait pour lui, sans qu’il sût comment, à la trame mystérieuse et sombre sur laquelle, depuis quelque temps, étaient brodés les événements de sa vie.

— Et, demanda-t-il à l’enseigne, on ne sait pas, avez-vous dit, d’où vient au prince la nouvelle de la mort d’Aurilly ?

— Non.

— Mais enfin, insista-t-il, raconte-t-on quelque chose à ce sujet ?

— Oh ! sans doute, dit l’enseigne ; vrai ou faux, vous le savez, on raconte toujours quelque chose.

— Eh bien ! voyons.

— On dit que le prince chassait sous les saules, près de la rivière, et qu’il s’était écarté des autres chasseurs, car il fait tout par élans, et s’emporte à la chasse comme au jeu, comme au feu, comme à la douleur, quand tout à coup on le vit revenir avec un visage consterné.

Les courtisans l’interrogèrent, pensant qu’il ne s’agissait que d’une simple aventure de chasse.

Il tenait à la main deux rouleaux d’or.

« Comprenez-vous cela, Messieurs ? dit-il d’une voix saccadée, Aurilly est mort, Aurilly a été mangé par les loups ! »

Chacun se récria.

« Non pas, dit le prince, il en est ainsi, ou le diable