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qu’ils venaient de faire naître en lui, le comte était renversé sur le lit de son frère et plongeait machinalement les yeux dans l’azur du ciel, qui semblait constellé de diamants.

Le jeune enseigne était assis sur le rebord de la fenêtre, et se laissait aller volontiers, lui aussi, à cet abandon de l’esprit, à cette poésie de la jeunesse, à cet engourdissement velouté du bien-être que donne la fraîcheur embaumée du soir.

Un grand silence couvrait le parc et la ville, les portes se fermaient, les lumières s’allumaient peu à peu, les chiens aboyaient au loin dans les chenils contre les valets chargés de fermer le soir les écuries.

Tout à coup l’enseigne se souleva, fit avec la main un signe d’attention, se pencha en dehors de la fenêtre, et appelant d’une voix brève et basse le comte étendu sur le lit :

— Venez, venez, dit-il.

— Quoi donc ? demanda Henri, sortant violemment de son rêve.

— L’homme, l’homme !

— Quel homme ?

— L’homme au surcot, l’espion.

— Oh ! fit Henri en bondissant du lit à la fenêtre, et en s’appuyant sur l’enseigne.

— Tenez, continua l’enseigne, le voyez-vous là-bas ? il longe la haie ; attendez, il va reparaître ; tenez, regardez dans cet espace éclairé par la lune ; le voilà, le voilà !

— Oui.

— N’est-ce pas qu’il est sinistre ?

— Sinistre, c’est le mot, répondit du Bouchage en s’assombrissant lui-même.

— Croyez-vous que ce soit un espion ?

— Je ne crois rien et je crois tout.

— Voyez, il va du pavillon du prince aux serres.

— Le pavillon du prince est donc là ? demanda du Bou-