Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/248

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Le duc semblait ivre de joie ; il couvait des yeux cette merveilleuse créature qui s’était assise en face de lui, et qui touchait à peine aux objets servis devant elle. De temps en temps François s’allongeait sur la table pour baiser une des mains de sa muette et pâle convive, qui semblait aussi insensible à ces baisers que si la main eût été sculptée dans l’albâtre, dont elle avait la transparence et la blancheur.

De temps en temps, Henri tressaillait, portait la main à son front, essuyait avec cette main la sueur glacée qui en dégouttait et se demandait :

— Est-elle vivante ? est-elle morte ?

Le duc faisait tous ses efforts et déployait toute son éloquence pour dérider ce front austère.

Remy, seul serviteur, car le duc avait éloigné tout le monde, servait ces deux personnes, et de temps en temps frôlant avec le coude sa maîtresse lorsqu’il passait derrière elle, semblait la ranimer par ce contact, et la rappeler à la vie ou plutôt à la situation.

Alors un flot de vermillon montait au front de la jeune femme, ses yeux lançaient un éclair, elle souriait comme si quelque magicien avait touché un ressort inconnu de cet intelligent automate et avait opéré sur le mécanisme des yeux l’éclair, sur celui des joues le coloris, sur celui des lèvres le sourire.

Puis elle retombait dans son immobilité.

Le prince cependant se rapprocha, et par ses discours passionnés commença d’échauffer sa nouvelle conquête.

Alors Diane, qui de temps en temps regardait l’heure à la magnifique horloge accrochée au-dessus de la tête du prince, sur le mur opposé à elle, Diane parut faire un effort sur elle-même, et, gardant le sourire sur ses lèvres, prit une part plus active à la conversation.

Henri, sous un abri de feuillage, se déchirait les poings et maudissait toute la création, depuis les femmes que Dieu a faites, jusqu’à Dieu qui l’avait créé lui-même.