Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/271

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et si touchant, que la colère de Joyeuse en fut un moment affaiblie.

— Les termes ne font rien au sens, Madame ; vous avez repoussé mon frère, et vous l’avez réduit au désespoir.

— Innocemment, Monsieur, car j’ai toujours cherché à éloigner de moi M. du Bouchage.

— Cela s’appelle le manège de la coquetterie, Madame, et le résultat fait la faute.

— Nul n’a le droit de m’accuser, Monsieur ; je ne suis coupable de rien ; vous vous irritez contre moi, je ne répondrai plus.

— Oh ! oh ! fit Joyeuse en s’échauffant par degrés, vous avez perdu mon frère, et vous croyez vous justifier avec cette majesté provocatrice ? non, non : la démarche que je fais doit vous éclairer sur mes intentions ; je suis sérieux, je vous le jure, et vous voyez au tremblement de mes mains et de mes lèvres que vous aurez besoin de bons arguments pour me fléchir.

L’hospitalière se leva.

— Si vous êtes venu pour insulter une femme, dit-elle avec le même sang-froid, insultez-moi, Monsieur ; si vous êtes venu pour me faire changer d’avis, vous perdez votre temps : retirez-vous.

— Ah ! vous n’êtes pas une créature humaine, s’écria Joyeuse exaspéré, vous êtes un démon !

— J’ai dit que je ne répondrais plus ; maintenant ce n’est point assez, je me retire.

Et l’hospitalière fit un pas vers la porte.

Joyeuse l’arrêta.

— Ah ! un instant ! Il y a trop longtemps que je vous cherche pour vous laisser fuir ainsi ; et puisque je suis parvenu à vous joindre, puisque votre insensibilité m’a confirmé dans cette idée, qui m’était déjà venue, que vous êtes une créature infernale, envoyée par l’ennemi des hommes pour perdre mon frère, je veux voir ce visage sur lequel