Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/272

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l’abîme a écrit ses plus noires menaces, je veux voir le feu de ce regard fatal qui égare les esprits. À nous deux, Satan !

Et Joyeuse, tout en faisant le signe de la croix d’une main en manière d’exorcisme, arracha de l’autre le voile qui couvrait le visage de l’hospitalière ; mais celle-ci, muette, impassible, sans colère, sans reproche, attachant son regard doux et pur sur celui qui l’outrageait si cruellement :

— Oh ! monsieur le duc, dit-elle, ce que vous faites là est indigne d’un gentilhomme !

Joyeuse fut frappé au cœur : tant de mansuétude amollit sa colère, tant de beauté bouleversa sa raison.

— Certes, murmura-t-il après un long silence, vous êtes belle, et Henri a dû vous aimer ; mais Dieu ne vous a donné la beauté que pour la répandre comme un parfum sur une existence attachée à la vôtre.

— Monsieur, n’avez-vous point parlé à votre frère ? ou, si vous lui avez parlé, il n’a point jugé à propos de vous faire son confident ; sans cela il vous eût raconté que j’ai fait ce que vous dites : j’ai aimé, je n’aimerai plus ; j’ai vécu, je dois mourir.

Joyeuse n’avait pas cessé de regarder Diane ; la flamme de ses regards tout-puissants s’était infiltrée jusqu’au fond de son âme, pareille à ces jets de feu volcaniques qui fondent l’airain des statues rien qu’en passant auprès d’elles.

Ce rayon avait dévoré toute matière dans le cœur de l’amiral ; l’or pur y bouillonnait seul, et ce cœur éclatait comme le creuset sous la fusion du métal.

— Oh ! oui, dit-il encore une fois d’une voix plus basse et en continuant de fixer sur elle un regard où s’éteignait de plus en plus le feu de la colère ; oh ! oui, Henri a dû vous aimer… Oh ! Madame, par pitié, à genoux, je vous en supplie, Madame, aimez mon frère !

Diane resta froide et silencieuse.

— Ne réduisez pas une famille à l’agonie, ne perdez pas