Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 3.djvu/57

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Le bruit du canon n’était point parvenu, à ce qu’il paraissait, dans l’intérieur de la maison, ou, s’il y était parvenu, les habitants provisoires y étaient demeurés insensibles.

— À cette heure, se disait Henri, Anvers est pris et mon frère est vainqueur ; mais, après Anvers, viendra Gand ; après Gand, Bruges, et l’occasion ne me manquera pas pour mourir glorieusement. Mais, avant de mourir, je veux savoir ce que va chercher cette femme au camp des Français.

Et comme, à la suite de toutes ces commotions qui avaient ébranlé l’air, la nature était rentrée dans son repos, Joyeuse, enveloppé dans son manteau, rentra dans son immobilité.

Il était tombé dans cette espèce d’assoupissement auquel, vers la fin de la nuit, la volonté de l’homme ne peut résister, lorsque son cheval, qui paissait à quelques pas de lui, dressa l’oreille et hennit tristement.

Henri ouvrit les yeux.

L’animal, debout sur ses quatre pieds, la tête tournée dans une autre direction que celle du corps, aspirait la brise, qui, ayant tourné à l’approche du jour, venait du sud-est.

— Qu’y a-t-il, mon bon cheval ? dit le jeune homme en se levant et en flattant le cou de l’animal avec sa main ; tu as vu passer quelque loutre qui t’effraye, ou tu regrettes l’abri d’une bonne étable ?

L’animal, comme s’il eût entendu l’interpellation, et comme s’il eût voulu y répondre, se porta d’un mouvement franc et vif dans la direction de Lier, et, l’œil fixe et les naseaux ouverts, il écouta.

— Ah ! ah ! murmura Henri, c’est plus sérieux à ce qu’il me paraît : quelques troupes de loups suivant les armées pour dévorer les cadavres.

Le cheval hennit, baissa la tête, puis, par un mouvement rapide comme l’éclair, il se mit à fuir du côté de l’ouest.