— Dans ce temps-là, dit brusquement Bonaparte, les Bourguignons n’étaient pas Français.
Et, comme on lui amenait en ce moment sa voiture raccommodée, il monta dedans et s’éloigna avec rapidité.
Bonaparte n’était pas sans inquiétude sur la position qu’il s’était faite lui-même par une suite de victoires inouïes. Il avait bien été accueilli à Paris en triomphateur ; toute la salle du Théâtre-Français s’était bien levée en criant : « Vive Bonaparte ! » quand on avait su qu’il assistait à la seconde représentation d’Horatius Coclès ; mais toutes ces ovations ne l’aveuglaient pas.
Le même soir, il disait à Bourienne :
— On ne conserve à Paris le souvenir de rien. Si je reste longtemps sans rien faire, je suis perdu : une renommée dans cette grande Babylone en remplace une autre. On ne m’aura pas plus tôt vu trois fois au spectacle, comme on m’y a vu ce soir, que l’on ne me regardera plus.
Quelques jours après, il fut nommé membre de l’institut, classe des sciences et des arts : cette nomination lui fut très-sensible.
Toutes ces ovations aux spectacles, toutes ces réceptions à l’institut étaient bonnes pour distraire un esprit aussi actif que celui de Bonaparte ; mais elles ne pouvaient pas lui suffire.
Aussi en revint-il à son idée favorite : l’Orient.
— L’Europe est une taupinière, disait-il un jour en se promenant avec Bourienne, César Berthier et mon père à Paneriano ; il n’y a jamais eu de grands empires et de grandes révolutions qu’en Orient, où vivent six cents millions d’hommes.
Déjà, dans le mois d’août 1797, il écrivait au Directoire :
« Le temps n’est pas éloigné où nous sentirons que, pour détruire véritablement l’Angleterre, il faudrait nous emparer de l’Égypte. »
Cependant, — soit pour cacher son dessein, soit qu’il crût réellement à la possibilité d’une descente en Angleterre, — le