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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 1.djvu/282

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Après ce trait, nous en citerions bien d’autres ; mais il paraîtraient faibles à côté de celui-là.

Un jour d’ouverture de chasse, chez M. Danré de Vouty, il y avait vingt-quatre poulets à la broche. Boudoux les regarda comme il avait regardé le veau de mon père. M. Danré eut l’imprudence, alors, de lui faire une proposition équivalente à celle qui lui avait été faite chez nous.

Boudoux fit vingt-quatre bouchées des vingt-quatre poulets.

Plus tard, — je veux en finir d’un coup avec l’appétit de Boudoux, — lorsque, après la Restauration, M. le prince de Condé vint chasser à Villers-Cotterets, il y amena une meute de cent vingt chiens.

Boudoux obtint la charge de valet des valets de chiens. Ce fut, en conséquence, Boudoux qui se trouva chargé de faire aux Roquadors et aux Barbaros princiers la distribution de vivres.

Bientôt on s’aperçut que, quoique l’achat de pain et de mon fût toujours le même, les pauvres bêtes languissaient, maigrissaient, perdaient leurs jambes.

On se douta de la chose, et l’on guetta Boudoux.

On s’aperçut qu’il mangeait à lui seul la portion de quarante chiens.

C’étaient les deux sixièmes de la nourriture générale.

Le prince ordonna qu’on servirait chaque jour à Boudoux une portion à part, et que cette portion serait celle de quarante chiens.

Voilà ce qu’était Boudoux, quant à l’appétit.

Nous allons dire ce qu’il était, quant au physique ; puis nous dirons ce qu’il était, quant au moral.

Au physique, Boudoux était le rebut de la création : Quasimodo, près de Boudoux, aurait pu avoir des prétentions à la beauté. Boudoux avait le visage non pas grêlé, mais couturé, mais sillonné, mais bouleversé par la petite vérole ; l’œil, tiré hors de son orbite par une excavation de la paupière, semblait descendre, plein de larmes et de sang, jusqu’au milieu de la joue ; le nez, au lieu d’être saillant, se dé-