primait au-dessous du cartilage, et s’aplatissait sur la lèvre supérieure ; cette lèvre, d’où suintait éternellement une salive noircie par la chique, formait l’arche supérieure d’une bouche qui, pareille à celle des serpents, se fendait jusqu’aux oreilles pour laisser passer un gigot tout entier ; le reste était complété par des cheveux qu’eût enviés Polyphème, par une barbe, rouge et grasse, poussant dans les rares intervalles laissés intacts par la petite vérole.
Cette tête était supportée par un corps de cinq pieds neuf pouces, dont on ne pouvait jamais apprécier la grandeur réelle, à cause d’une jambe qui, à chaque pas qu’il faisait, pliait en cédant ; à ce point que le bas de la jambe et le haut de la cuisse étaient égaux aux deux pointes d’un compas ouvert en triangle.
Avec tout cela, Boudoux possédait une de ces forces qui n’ont pas de mesure. Dans les déménagements, Boudoux était un homme précieux : il plaçait sur sa tête bahuts, buffets, lits, tables, et, de son pas claudicant, qui mesurait un mètre et demi à chaque enjambée, il transportait en un tour de main l’ameublement tout entier d’une maison à une autre maison.
Et, pourtant, Boudoux, qui eût pris, comme Alcidamas, un cheval par les sabots de derrière, et qui lui eût arraché les sabots ; Boudoux, qui, comme Samson, eût arraché de leurs gonds les portes de Gaza, et qui les eût emportées sur son dos ; Boudoux, qui, comme Milon de Crotone, eût fait le tour du cirque avec un bœuf sur ses épaules, eût assommé le bœuf et l’eût mangé le même jour ; Boudoux, avec la force d’un éléphant, avait la douceur d’un agneau.
Voilà pour le moral.
Aussi, tout laid, tout repoussant, tout hideux à voir qu’il était, Boudoux n’avait partout que des amis ; il logeait chez une tante à lui, mademoiselle Chapuis, directrice de la poste ; mais il mangeait chez tout le monde. Trois fois par jour, Boudoux faisait sa tournée par la ville, et, comme les frères quêteurs des anciens monastères, il récoltait de quoi nourrir un couvent.