la nuit et dans une petite ville : tout Villers-Cotterets fut debout en un instant, et se précipita vers la ferme enflammée.
Je ne crois pas qu’il y ait de plus splendide spectacle qu’un incendie immense comme était celui-là. La ferme brûlait sur toute la longueur de ses granges et de ses étables, présentant un rideau de trois ou quatre cents pas d’étendue, du milieu duquel sortaient les mugissements des bœufs, les hennissements des chevaux, les bêlements des moutons.
Tout fut brûlé, bâtiments et bétail ; les animaux, on le sait, lorsqu’ils sentent le feu, ne veulent plus sortir.
Cet incendie est le premier grand désastre auquel j’aie assisté. Il a laissé une profonde impression dans ma mémoire.
Le lendemain seulement, on se rendit maître du feu : la perte fut immense. Heureusement, nous l’avons dit, M. Picot était fort riche.
L’année suivante, ce fut un autre malheur. M. Picot avait deux fils et une fille. L’aîné de ses fils avait huit ou dix ans de plus que moi ; le cadet, deux ou trois seulement. Il en résultait que je n’avais aucune relation avec l’aîné, qui me traitait en gamin, mais que j’étais fort ami avec le cadet, qui s’appelait Stanislas.
Un jour, ma mère entra le visage tout bouleversé dans ma chambre.
— Eh bien, dit-elle, viens encore me demander à jouer avec des armes à feu.
— Et pourquoi cela, ma mère ?
— Stanislas vient de se blesser, de se tuer peut-être.
— Ah ! mon Dieu, où est-il ?
— Chez son père. Va le voir.
Je partis tout courant. Je fis le quart de lieue en six ou sept minutes. En arrivant à la ferme, je vis une longue traînée de sang.
Tout le monde était dans la consternation : personne ne me demanda où j’allais. Je traversai les cours, je franchis la cuisine, je me glissai dans la chambre de Stanislas. On venait de poser le premier appareil sur la blessure : le chirurgien était là avec sa trousse ouverte, ses mains pleines de sang. Le