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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/102

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ne pouvant me nier alors l’état pénible où je le voyais réduit :

» — J’en veux, me dit-il, à ce misérable corps, qui ne peut pas suivre la volonté de mon âme !

» — Il est fâcheux, en effet, lui répondis-je, que Votre Altesse n’ait pas la faculté de changer de corps comme ellechange de chevaux, lorsqu’elle les a fatigués. Mais, je vous en conjure, monseigneur, faites attention que vous avez une âme de fer dans un corps de cristal, et que l’abus-de la volonté ne peut que vous devenir funeste.

» Sa vie était alors comme un véritable procédé de combustion. Il dormait à peine pendant quatre heures, quoique naturellement il eût besoin d’un long sommeil ; il ne mangeait presque pas ; son existence était entièrement concentrée dans les mouvements du manège et de tous les exercices militaires. Il ne connaissait plus le repos ; sa croissance en longueur ne s’arrêtait pas ; il maigrissait graduellement, et son teint prenait une couleur livide. À toutes mes questions, il répondait toujours :

» — Je me porte parfaitement bien !

» Dans le mois d’août, il fut atteint d’une forte fièvre catarrhale ; tout ce que je pus obtenir, ce fut de lui faire garder le lit et la chambre pendant un jour. Nous conférâmes avec le général comte Hartmann de la nécessité de mettre un terme à un régime aussi dangereux pour cette frêle existence. Vous vous rappelez l’époque funeste de l’invasion du choléra à Vienne, les malheurs qui signalèrent la première irruption de ce fléau, la généreuse conduite des habitants de Vienne, les sages précautions des administrateurs, les secours, les exemples que donnèrent l’empereur et les membres de la famille impériale, inaccessibles à la crainte qu’inspira cette maladie à son apparition. Le duc de Reichstadt ne voulait pas se séparer des soldats et s’éloigner de leur caserne ; l’empereur ne pouvait qu’apprécier ce sentiment, conforme à ses idées sur les devoirs d’un prince ; mais, pour nous, il y avait un devoir sucré et pressant : c’était de sauvei Ce jeune homme d’une position qui tendait évidemment à le détruire.