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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/101

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

recommandai pas à ses bonnes grâces, comme vous pouvez l’imaginer, lorsque je m’opposai formellement à ce changement de vie. J’en développai les raisons à ses augustes parents dans un mémoire que je leuradressai le 15 juillet 1830. J’établissais que, dans l’état de croissance excessive en disproportion avec le peu de développement des organes, dans la disposition générale de faiblesse, particulièrement de la poitrine, toute maladie accessoire pourrait devenir extrêmement dangereuse, soit dans le présent, soit dans l’avenir, et que, par suite, il était indispensable de mettre le prince à l’abri de toutes les influences atmosphériques, de tous les efforts de voix auxquels il serait continuellement exposé dans le service militaire.

» Mon mémoire fut accueilli par l’empereur : l’entrée au service militaire fut ajournée pour six mois. À la suite de soins assidus et de révulsions artificielles, les symptômes inquiétants se mitigèrent d’une manière visible. L’hiver se passa heureusement ; mais la croissance continuait encore.

» Au printemps de l’année 1831, le prince fit son entrée dans la carrière des armes. Dès ce moment, il rejeta tous mes conseils ; je ne fus plus que spectateur d’un zèle sans mesure, d’un emportement hors des limites pour ses nouveaux exercices. Il crut ne devoir écouter désormais que sa passion, qui entraînait son faible corps à des privations et à des fatigues absolument au-dessus de ses forces. Il eût regardé comme une honte, comme une lâcheté de se plaindre sous’les armes. D’ailleurs, j’avais toujours à ses yeux le tort grave d’avoir retardé sa carrière militaire ; il paraissait redouter que mes observations ne vinssent encore l’interrompre. Aussi, quoiqu’il me traitât avec une extrême bienveillance dans les relations sociales, comme médecin, il ne me dit plus un seul mot de vérité. Il me fut impossible de le déterminer à reprendre l’usage des bains muriatiques et des eaux minérales, qui lui avaient été si utiles l’année précédente. Le temps lui manquait, me disait-il. Plusieurs fois, je le surpris, à la caserne, dans un état d’extrême fatigue. Un jour, entre autres, je le trouvai couché sur un canapé, épuisé de forces, exténué.