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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/182

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Je prie Madame de remarquer qu’elle achève ma pensée et non point ma phrase.

— Oh ! cela ne peut pas me blesser, général ; car, lorsque je vins en France, j’étais trompée sur la disposition des esprits ; je croyais que la France se soulèverait ; que l’armée passerait de mon côté ; d’autant plus que j’ai été invitée à rentrer en France plus par mes ennemis que par mes amis. Enfin, je rêvais une espèce de retour de l’île d’Elbe. Après les combats de Maisdon, de la Caraterie, du Chêne, de la Pénissière et de Riaillé, je donnai l’ordre positif à tous mes Vendéens de rentrer chez eux ; car je suis Française avant tout, général, et la preuve, c’est qu’en ce moment, rien que de me retrouver en face de ces bonnes figures françaises, je ne me crois plus en prison. Toute ma peur est qu’on ne m’envoie autre part ; ils ne me laisseront certes pas ici, je suis trop près des émeutes. On a bien parlé de me transférer à Saumur ; mais Saumur est encore une ville d’émeute. Au reste, ils sont plus embarrassés que moi, allez, général !

En disant ces dernières paroles, elle se leva et se promena comme un homme, les mains derrière le dos. Au bout d’un instant, elle s’arrêta tout court, et reprit :

— Si je suis en prison, j’espère du moins que je ne suis pas au secret, et que M. Guibourg pourra dîner avec moi ?

— Je n’y vois pas d’inconvénient, madame, d’autant plus que je pense que c’est la dernière fois qu’il aura cet honneur.

Soit qu’elle n’entendît pas ces paroles, soit qu’elle n’y fît pas attention, la duchesse ne répondit point à Dermoncourt ; et, comme il faisait nuit et que l’heure du dîner approchait, demanda à la princesse la permission de se retirer, en même temps que ses ordres pour le lendemain.

Le lendemain, à dix heures, le colonel d’artillerie commandant le château entra chez Dermoncourt ; il venait lui annoncer une nouvelle colère de la duchesse ; elle avait une cause à peu près pareille à celle de la veille.

M. Guibourg, — ainsi que le comte d’Erlon en avait prévenu la duchesse, — M. Guibourg avait été réintégré en prison