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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 10.djvu/187

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

accueilli dans une maison légitimiste, laquelle offrait une sécurité qui pouvait le déterminer à y prolonger son séjour. Les dames de la maison, très-dévotes et très-curieuses, étaient prévenues qu’il était un des chefs du parti légitimiste, mais elles ignoraient qu’il fût M. de Bourmont. Elles étaient très-intriguées de savoir quel était ce personnage si réservé et si discret ; elles s’épuisaient en conjectures ; enfin, soit que le costume de M. de Bourmont leur en eût donné l’idée, soit que leur imagination eût fait tous les frais, elles finirent par se persuader que c’était un ecclésiastique ; et ; pour lui faire, à son insu, une galanterie, elles s’empressèrent d’élever dans une des chambres de la maison un autel qu’elles parèrent de leur mieux, et de se procurer les vases et les ornements nécessaires. Le lendemain matin, elles vinrent lui annoncer, avec une satisfaction qu’elles croyaient lui faire partager, que tout était disposé pour qu’il pût dire sa messe dans la maison.

M. de Bourmont écouta cette proposition avec un grand sérieux, dont il s’est dédommagé depuis, et, ne voulant pas détruire chez ces dames une erreur qui favorisait l’incognito qu’il désirait garder, il leur donna pour excuse, qu’ayant l’habitude, en voyage, de prendre le matin une tablette de chocolat, il avait déjà pris sa tablette quotidienne, et ne pouvait, dans cet état, se présenter à l’autel. Les bonnes dames en furent persuadées, et leur vénération redoubla pour un homme qui se montrait si scrupuleux.

Cependant, M. de Bourmont, réfléchissant que l’autel était préparé, qu’on trouverait fort étrange qu’il ne s’y présentât pas, qu’il se trouverait exposé à de nouvelles obsessions, fit appeler le maître de la maison, et lui annonça qu’il allait partir à l’instant même. Son hôte fut étourdi de cette brusque résolution ; M. de Bourmont le rassura en lui disant :

— Vos dames ont voulu me faire dire la messe ce matin ; si je reste, elles voudront peut-être me faire chanter vêpres après midi. Voilà pourquoi je pars.

En effet, il prit aussitôt la poste, non pour passer à l’étranger, mais pour venir à Paris, où il resta quelques jours. Il repartit ensuite pour Genève, et, pendant qu’il voyageait avec