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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/123

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

pris en grande amitié, et me demandaient-ils, chaque fois qu’ils me rencontraient par hasard à la pipée ou à la marette :

— Eh bien, quand donc notre inspecteur vous invitera-t-il à une chasse plus sérieuse ?

Enfin, l’invitation était venue pour le jeudi suivant.

Le rendez-vous était à la Maison-Neuve au chemin de Soissons, chez un garde chef nommé Choron.

Au sein de cette population que j’ai essayé d’esquisser par des traits généraux, il y avait quatre ou cinq hommes qui méritaient des mentions particulières, soit par leur adresse, soit par leur originalité, et Choron était un de ces hommes-là.

J’ai déjà eu l’occasion de parler plus d’une fois-de lui ; seulement, j’en ai parlé sous un autre nom. Aujourd’hui que j’écris des mémoires, et non un roman, c’est sous son vrai nom qu’il doit apparaître, puisque ce sont des catastrophes réelles que je vais raconter.

À l’époque où nous sommes arrivés, c’est-à-dire vers le commencement de l’année 1816, Choron était un beau garçon de trente ans, à peu près, à la physionomie franche, et ouverte, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux gros favoris, encadrant admirablement son joyeux visage ; du reste, admirablement pris dans une taille de cinq pieds quatre pouces, et devant à l’harmonie de ses membres une force herculéenne citée à dix lieues à la ronde.

Aussi Choron était-il toujours prêt. Avant que certaines idées de jalousie — idées fatales qui causèrent sa mort — lui passassent par l’esprit, nul ne pouvait dire qu’il avait vu Choron malade ou soucieux ; le matin comme le soir, le soir comme la nuit, M. Deviolaine pouvait venir frapper à sa porte et l’interroger ; il savait, à cinquante pas près, où baugeaient les sangliers de sa garderie ; car Choron était un de ces hommes qui, comme Bas-de-Cuir, auraient pu suivre une piste pendant des jours entiers. Lorsque le rendez-vous de chasse était à la Maison-Neuve, et qu’on devait attaquer à un quart de lieue, une demi-lieue ou une lieue de là, si l’animal avait été détourné par Choron, on savait d’avance à quelle bête on avait affaire, si c’était un tiéran, un ragot ou un soli-