Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
122
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

c’est Moinat qui m’apprit à m’en servir, Montagnon n’avait fait de moi qu’un garçon armurier ; Moinat fit de moi un véritable chasseur.

Quand Moinat mettait en joue un animal quelconque, depuis la bécassine jusqu’au chevreuil, c’était, sauf accident, une bête morte. Cette habileté s’étendait parfois à ceux qui chassaient dans le voisinage de Moinat. M. Deviolaine, dans ses chasses particulières, invitait Moinat, et prétendait qu’il ne tirait bien que lorsqu’il le sentait près de lui.

Un jour que j’étais en tiers dans une de ces chasses, je découvris le secret : Moinat tirait en même temps que M. Deviolaine ; la pièce tombait. M. Deviolaine croyait avoir tué seul, et ramassait le gibier : c’était Moinat qui l’avait tué.

De temps en temps, cependant, il le laissait tirer tout seul ; à ces coups-là, il était rare que quelque chose tombât.

Moinat eut le courage de ne jamais se vanter de cette simultanéité ; de sorte qu’il demeura le favori de l’inspecteur jusqu’à la fin de sa vie.

À l’époque où nous sommes arrivés, Moinat avait soixante ans ; mais, pour le jarret et le coup d’œil, il défiait les plus jeunes. En plaine, il faisait ses dix lieues sans broncher ; au marais, il entrait jusqu’au ventre dans l’eau et la vase ; au bois, il foulait les taillis les plus épais et les ronciers les plus épineux. Moinat avait été aimé de mon père, et me faisait le grand honneur — il ne le faisait pas à tout le monde — d’être, non-seulement mon ami, mais encore mon maître ; au reste, il n’a pas eu à s’en repentir, et, dans toutes les forêts de l’État, où on en était arrivé à suspendre mes permissions, vu la quantité de gibier que je tuais, et un soufflet que j’eus l’imprudence de donner à un inspecteur, je me suis montré son digne élève, à ce que je crois.

Je me brouillai avec Moinat, à peu près comme Van Dyck se brouilla avec Rubens. Je tuai un jour un chevreuil que Moinat venait de manquer : il ne me le pardonna jamais.

Nous avons dit que Moinat était le premier tireur à plomb, et Mildet le premier tireur à balle de la forêt de Villers-Cotterets.