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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/140

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

La balle était restée dans le corps.

Nous étions tous autour du mourant, nous interrogeant du regard, pour savoir qui avait tiré le coup de fusil, quand nous vîmes sortir du fourré Choron, sans casquette, pâle comme un spectre, tenant à la main sa carabine encore fumante, et criant :

— Blessé ! blessé ! Qui est-ce qui a dit que mon oncle était blessé ?

Personne de nous ne répondit ; mais nous lui montrâmes le moribond, qui vomissait le sang à pleine bouche.

Choron s’avança, les yeux hagards, la sueur au front, les cheveux dressés sur la tête, et arriva près du blessé ; il le regarda en pâlissant encore, ce que l’on aurait cru impossible, poussa une espèce de rugissement, brisa le bois de sa carabine contre un arbre, et en jeta le canon à cinquante pas de lui.

Puis il tomba à genoux, priant le mourant de lui pardonner ; mais le mourant avait déjà fermé les yeux pour ne plus les rouvrir !

On improvisa à l’instant même un brancard : on posa le blessé dessus ; puis on le transporta dans la maison de Moinat, qui n’était qu’à trois ou quatre cents pas de l’endroit où l’accident était arrivé. Nous accompagnions tous le brancard, ou plutôt nous suivions Choron, qui marchait près de lui les bras pendants, la tête basse, ne disant pas une parole, ne versant pas une larme. Pendant ce temps, un des gardes était monté sur le cheval de M. Deviolaine, et courait ventre à terre chercher le médecin.

Au bout d’une demi-heure, le médecin arriva, pour annoncer ce dont chacun se doutait en voyant que Berthelin n’avait pas repris connaissance : c’est que la blessure était mortelle.

La femme du blessé ignorait encore cette nouvelle. Il fallait la lui transmettre. M. Deviolaine se chargea de ce triste message, et s’apprêta à sortir de la maison.

Alors Choron se leva, et, s’approchant de lui :

— Monsieur Deviolaine, dit-il, il est bien entendu que, tant que je vivrai, elle ne manquera de rien, la pauvre chère