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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/15

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

bliés ! Elle me confia à Crétet et à mademoiselle Adélaïde, qui m’emmenèrent avec eux.

De tout ce voyage, postérieur à l’autre de huit ans, je n’ai plus que deux souvenirs bien distincts : l’un, tout de poésie et de lumière ; l’autre, immonde et tout crotté de boue.

Le premier, c’est quand — au bruit des fanfares de cuivre, au milieu des drapeaux saluants, — au-dessus des cinquante mille têtes des gardes nationaux, on éleva la tête rose, blonde et frisée d’un enfant de trois ans, aux cris de « Vive le roi de Rome ! vive la régence ! »

C’était, en effet, ce pauvre enfant, né roi, que la fortune allait non-seulement déshériter de son double empire, mais encore faire orphelin de père et de mère.

C’était l’original de ces deux portraits, dont l’un avait été retrouver l’empereur à la Moskova, dont l’autre devait suivre Napoléon à Sainte-Hélène.

C’était cet ange martyr, que son père avait à peine eu le temps d’apercevoir comme une vision céleste à son apparition dans ce monde, puis qu’il avait revu après la campagne de Russie, après la campagne de Dresde, et qu’il ne devait plus revoir que dans les hallucinations de la solitude et dans les visions de son désespoir.

Sa mère, cette femme fatale à la France, comme l’ont toujours été ces filles des Césars qui se sont tour à tour nommées Anne d’Autriche, Marie-Antoinette et Marie-Louise, sa mère était derrière lui, figure fade et effacée, dont les traits se perdent pour moi dans un nuage, et dont je ne vois plus que la chevelure blonde, rattachée en haut de sa tête par un peigne en diamants.

On lui jurait fidélité, à ce pauvre enfant ; et, si les fanfares et les cris se fussent tus, si Paris eût consenti à cesser pour un instant son gigantesque murmure, respiration d’un million d’hommes, on eût entendu le canon de l’ennemi qui tonnait à deux lieues de l’endroit où se faisaient tout ce bruit inutile, tous ces creux serments !

On promettait, en son nom, qu’il ne quitterait point Paris ; que lui, Marie-Louise, sa mère, et le roi Joseph, son oncle,