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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/168

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

cacher le crime leur avait donc échappé, et ils n’avaient plus dû se préoccuper que d’une chose : c’était de se sauvegarder eux-mêmes.

Marot avait été pris, avait essayé de nier d’abord ; mais ensuite il avait réfléchi, et il aimait mieux avouer le rôle passif qu’il avait joué dans toute cette affaire, que de risquer sa vie dans une dénégation complète.

Nous venons de le voir, la fable était assez habilement conçue, non pas pour amener la conviction chez le juge, mais au moins pour le mettre dans la nécessité d’arrêter Picot.

Aussi, le matin venu, apprit-on tout à la fois la dénonciation du berger et l’arrestation de son maître.

La nouvelle fit grand bruit. Picot n’était pas aimé ; il était riche, beau garçon, vigoureux de corps, hautain de parole ; qualités et défaut qui, dans une petite ville, constituent fatalement l’impopularité.

Picot, en réalité, n’avait jamais fait de mal à personne. Eh bien, à la première nouvelle du malheur qui lui arrivait, il eut la moitié de la ville contre lui.

C’était, en vérité, une famille malheureuse que cette famille Picot, et Dieu lui faisait payer bien cher la richesse qu’il lui donnait.

Quatre ans auparavant, Stanislas Picot, on se le rappelle, s’était tué à la chasse. Deux ans auparavant, la ferme avait brûlé, et voilà qu’aujourd’hui le fils aîné était accusé d’assassinat.

L’enquête se poursuivit activement ; il fut décidé qu’on ferait, le lendemain, une visite sur les lieux : le procureur du roi était arrivé de Soissons.

Je me rappellerai toujours l’effet terrible que me produisit la vue de ce cortège traversant la grande place. En tête marchaient les autorités de la ville et le procureur du roi ; puis Picot, entre deux rangs de gendarmes, placés les uns devant, les autres derrière lui ; puis le berger, entre deux autres rangs de gendarmes, disposés de la même façon ; puis toute la ville : les uns sur les portes et aux fenêtres, les autres suivant le cortège.