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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/169

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Tout cela marchait d’un pas rapide, car il pleuvait. On parle de l’égalité devant la loi ; et les juges avaient cru faire de l’égalité en plaçant ces deux hommes à pied, l’un comme l’autre, entre un nombre égal de gendarmes.

Seulement, ils avaient oublié la différence des impressions qui, dans deux organisations différentes, placées relativement l’une au bas, l’autre au haut de l’échelle sociale, assaillaient ces deux cœurs.

Certes, toutes les tortures de la situation étaient pour l’homme élevé.

Pour l’autre, il y avait presque triomphe ; il avait, d’un mot, attiré au même niveau que lui un homme placé si fort au-dessus de lui, que, huit jours auparavant, il en recevait son pain, son salaire, et ne lui parlait que le chapeau à la main.

Aussi, sur le visage ignoble de cet homme, rayonnait là basse satisfaction de la vengeance.

En outre, il avait les sympathies des hommes de sa classe, qui le regardaient comme une victime, et même de quelques organisations envieuses placées dans des classes plus élevées.

Quant à Picot, son visage était calme ; mais on sentait bouillonner dans cette large poitrine la colère, la honte et l’orgueil révoltés.

Non ! la justice ne traitait pas ces deux hommes d’une manière égale, par cela même qu’elle les traitait en égaux.

Le lendemain, ce fut une autre cérémonie non moins sombre : on procéda à l’exhumation.

Toute la discussion porta sur la poitrine meurtrie du jeune homme. Le berger prétendait qu’elle avait été meurtrie par le coup de pied du cheval. Picot répondait que, si elle eût été meurtrie par un coup de pied de cheval, par un seul surtout, assez violent pour amener l’évanouissement, les contours du fer seraient tracés sur cette poitrine, meurtrie, c’est vrai, — mais bien plus probablement par les sabots du berger, que par le fer de son cheval.

Les deux accusés furent envoyés dans les prisons de Soissons.