Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/174

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

changement à ce grand réveil de la nature. Des marronniers, des tilleuls et des hêtres, partaient les premières avant-gardes du printemps. Les pâquerettes étoilaient la pelouse ; les boutons d’or s’enrichissaient ; dans l’herbe, déjà haute, on entendait chanter les grillons. Les papillons, ces fleurs volantes qui éclosent dans les airs venaient caresser les fleurs de la terre. Les beaux enfants sortaient de la ville avec des robes blanches et des rubans roses, et venaient se rouler sur l’herbe. Tout se peuplait, tout s’animait, tout vivait. Le printemps était arrivé sur les premières brises de mai, et, dans la vapeur du matin, on croyait le sentir passer, secouant ses cheveux, et ranimant le monde au souffle de son haleine parfumée.

Aussi était-ce cette époque de joyeuse renaissance que la ville avait choisie pour sa fête ; fête charmante, toujours somptueuse, car c’était la nature qui se chargeait d’en faire les frais.

Cette fête, je crois l’avoir dit déjà, tombait à la Pentecôte, et durait trois jours.

Pendant trois jours, le parc s’emplissait de bruits charmants et de rumeurs joyeuses, qui s’éveillaient dès le matin, et ne s’éteignaient que bien avant dans la nuit. Pendant trois jours, les pauvres oubliaient leur misère, et, ce qui est bien plus extraordinaire, les riches oubliaient leurs richesses. Le parc réunissait toute la ville, confondue en une grande famille ; puis cette famille, appelant à elle tous ses rameaux, parents, amis, connaissances, la population se quadruplait. On venait de la Ferté-Milon, de Crépy, de Soissons, de Château-Thierry, de Compiègne, de Paris ! Quinze jours d’avance, toutes les places étaient retenues aux diligences. Alors, il fallait inventer d’autres moyens de transport ; on voyait arriver chevaux, carrioles, tilburys, voitures de poste ; tout cela s’encombrait dans les deux seuls hôtels du pays, au Dauphin et à la Boule d’or. Pendant trois jours, la petite ville ressemblait à un corps trop plein de sang, dont le cœur battrait dix fois pour une. Mais, dès le mercredi, la ville commençait à rejeter ce trop-plein, qui s’écoulait peu à peu les jours suivants. Tout reprenait successivement son aspect ordinaire. Les grands bois, troublés pendant trois jours dans leurs ombres les plus épaisses, retrouvaient