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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/173

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On était au commencement de 1818. J’allais avoir seize ans au mois de juillet.

Le mois de mai, ce favori de l’année, riche et beau partout, est plus riche et plus beau à Villers-Cotterets que partout ailleurs.

Il est difficile de se faire une idée de ce qu’était, à cette époque du siècle et de l’année, ce beau parc dont mon cœur porte encore le deuil, et qu’un ordre de Louis-Philippe a fait abattre depuis.

Le dessin en était simple et grand à la fois. Au château immense, et qui domine la pelouse, se rattachaient, comme deux ailes, deux magnifiques massifs de verdure, plus longs que larges, dont une extrémité touchait aux murs du château, et dont l’autre allait rejoindre deux allées de marronniers gigantesques, formant d’abord les deux faces latérales d’un grand carré, puis se rapprochant l’une de l’autre diagonalement pour s’arrêter avant de se rejoindre, et pour continuer à s’enfoncer à perte de vue, en laissant entre elles deux un large espace vide, jusqu’à une lieue de la montagne de Vivières, bornant l’horizon, avec ses éboulements de terre rougeâtre et ses touffes de genêts aux fleurs d’or.

L’hiver, tout cela dormait ; tout cela était triste, solitaire, muet ; les oiseaux semblaient avoir émigré vers des contrées moins désolées. Des nuées de corbeaux, adoptant certains arbres plus élevés que les autres, demeuraient seuls propriétaires obstinés de ce magnifique domaine ; on eût dit ces invasions de barbares sous lesquels on voit se ruiner les terres et se dessécher les forêts.

Cela durait quatre mois de l’année.

Mais, dès le commencement d’avril, l’herbe perçait la terre, bravant le givre, qui, chaque matin, en faisait un tapis d’argent ; mais, dès le commencement d’avril, ces arbres, si nus, si désolés, si morts, commençaient à revêtir le velours cotonneux de leurs bourgeons. Les oiseaux endormis… — où dorment les oiseaux ? on n’en sait rien ; — les oiseaux endormis se réveillaient, voltigeant dans les branches, où bientôt ils devaient construire leurs nids. Puis, à partir de ce moment, chaque jour du mois, chaque heure du jour apportait son