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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/23

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

quer, autant que possible, les chefs craignant toujours quelque égorgement nocturne si l’on se confiait aux villes.

— Au reste, ajouta le blessé, tout va finir, puisque Paris est rendu depuis avant-hier.

C’était la première nouvelle qui parvenait à nous de ce grand événement.

Nous allions nous exclamer, lorsqu’une voix venant de la porte dit tout à coup :

— Ce n’est pas vrai, Paris ne se rend pas ainsi.

Nous nous retournâmes, et, pâle, couverte de sang, nous vîmes, appuyée à la porte, une des plus belles têtes militaires que l’on pût voir.

Cette tête avait un trou au-dessus du sourcil gauche ; de ce trou sortait son sang et venait sa pâleur.

C’était un officier du petit détachement d’infanterie. Il avait reçu au front une balle de pistolet, il était tombé sur le coup ; puis, après un instant, la fraîcheur de l’air l’ayant ranimé, il s’était relevé, et, voyant la ville à cent pas devant lui, il y était rentré, s’appuyant aux murailles.

Les voisins officieux qui avaient aidé notre hôte avaient enseigné sa maison à l’officier, et celui-ci était arrivé avec une blessure mortelle, juste assez à temps pour donner ce démenti tout national à la nouvelle que nous annonçait son ennemi.

La balle était restée dans la blessure ; elle fut extraite avec une grande dextérité par Millet. Mais, comme nous l’avons dit, la blessure était mortelle, et l’officier mourut dans la nuit.

Il venait d’expirer, vers les deux heures du matin, lorsqu’un chien aboya.

Millet sortit dans la cour, et écouta : on frappait à la porte du jardin, qui donnait sur la plaine.

La manière dont on frappait indiquait que celui qui frappait avait des précautions à prendre.

Aussi notre hôte alla-t-il ouvrir lui-même.

Celui qui frappait ainsi de nuit à une porte dérobée, c’était le second fils de la maison, dont on était si cruellement inquiet.