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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/24

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Notre hôte rentra seul, et vint se pencher au chevet de sa mère et de ses deux sœurs, qui, après avoir accompli leur office de sœurs de charité, s’étaient couchées un instant. C’était une bonne nouvelle que Dieu leur envoyait en récompense de leur dévouement.

On fit entrer le nouveau venu par une fenêtre du rez-de-chaussée, de sorte que, sans être vu, il put monter jusqu’à nos mansardes.

Pendant dix minutes, les trois femmes sanglotèrent de joie, puis on s’informa.

Paris, s’était effectivement rendu le 30 mars. Georges Millet, — autant que je puis me le rappeler, je crois qu’il s’appelait Georges, — Georges Millet comprit alors que tout était fini. Il avait quitté son régiment, et, au risque d’être pris vingt fois, il était revenu à Crépy, marchant la nuit et par des chemins de traverse.

Une nuit et demie lui avait suffi, Crépy n’étant qu’à quinze lieues de Paris.

Son frère lui donna un rasoir, il se coupa les moustaches. Quant à l’habillement, on envoya chercher, chez le fils aîné de madame de Longpré, qui était de sa taille, une redingote, un gilet et un pantalon, les habits du frère aîné ne pouvant lui aller, parce que le frère aîné était deux fois gros comme le frère cadet.

Le lendemain, les nouvelles arrivèrent.

Les alliés étaient entrés à Paris le 31 mars.

Le 1er avril, le sénat avait nommé un gouvernement provisoire.

Le 2, un décret du sénat avait déclaré Napoléon déchu de son trône.

Quinze jours après, nous étions de retour à Villers-Cotterets, et rétablis dans notre maison.

Que de choses s’étaient passées dans ces quinze jours qui avaient changé la face de l’Europe !

Le 4, Napoléon avait abdiqué en faveur de son fils.

Le 6, il avait fait ses dispositions pour se retirer derrière la Loire.