Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
257
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

fants, subissant tour à tour les fautes de leurs pères, devaient inutilement se cramponner ainsi aux rideaux de ces Tuileries, qui, depuis soixante ans, ne sont plus qu’une hôtellerie royale où logent en passant les dynasties qui s’en vont.

À onze heures moins un quart, l’impératrice, vêtue d’une amazone de couleur brune, montait avec le roi de Rome dans une voiture qu’entourait un fort détachement de la garde impériale.

Le même jour et à la même heure, l’empereur partait de Troyes pour Paris avec les escadrons de service.

On sait comment l’empereur fut arrêté à Fromenteau. Mais, ce que l’on ne sait pas, ou ce que l’on sait mal, c’est ce que nous allons raconter.

Un autre jour, dans un autre moment, — à propos de la révolution de juillet probablement, — nous reviendrons sur un de ces hommes que le destin, on ne sait pourquoi, marque d’un sceau fatal.

Nous voulons parler de Marmont.

Nous le montrerons, non pas tel qu’on l’a fait, mais tel qu’il a été : magnifique, pendant cette retraite, dans laquelle il ne laissa ni un canon ni un prisonnier aux mains de l’ennemi ; magnifique, quand — lion acculé aux murs d’octroi de Paris, enveloppé de Russes et de Prussiens, dans la grande rue de Belle ville ; le bras droit encore en écharpe, depuis la bataille des Arapiles ; tenant son épée de la main gauche, mutilée à Leipzig ; ses habits troués de balles ; enjambant par-dessus les morts et les blessés qui tombaient tout autour de lui ; à la tête de quarante grenadiers seulement, — il se faisait jour jusqu’à la barrière, où il abandonnait, criblé de blessures, le cinquième cheval qui mourait sous lui depuis le commencement de la campagne.

Hélas ! pourquoi ne traversa-t-il point Paris, de la barrière de Belleville à la barrière de Fontainebleau ? pourquoi s’arrêta-t-il à son hôtel de la rue Paradis-Poissonnière ? pourquoi ne se présenta-t-il point à Napoléon, avec sa redingote en lambeaux et son visage noir de poudre ? Quelle opposition dans sa destinée ! quelle différence dans le jugement de l’avenir !