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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Notre-Seigneur produisait sur moi une émotion profonde ; j’avais des étouffements subits, et une continuelle envie de pleurer. Je ne me trouvais pas digne du grand honneur que j’étais appelé à recevoir.

On m’avait fait habiller à neuf pour cette solennité ; j’avais une culotte de nankin, un gilet de piqué blanc et un habit bleu à boutons de métal, — le tout exécuté par Dulauroy, le premier tailleur de Villers-Cotterets.

Une cravate blanche, une chemise de batiste, et un cierge de deux livres complétaient cette toilette.

Une cérémonie préparatoire m’avait, au reste, mis à la hauteur de celle-là. La veille, on s’était aperçu qu’un de nos compagnons qui s’appelait, sans doute, Ismaël, mais qu’on appelait, par abréviation, Maël, et que je soupçonnais fort d’être juif, n’avait pas été baptisé.

On le baptisa conditionnellement, et nous fûmes choisis, moi et la jeune fille qui, de son côté, disait les Vœux, pour être ses parrain et marraine.

Ma commère était une fort jolie blonde, tirant un peu sur le roux, ce qui ne gâtait rien à l’affaire.

De son nom de baptême, elle s’appelait Laure, comme l’illustre maîtresse de Pétrarque ; quant à son nom de famille, je l’ai complètement oublié. Je devais donc, le lendemain, communier entre deux filleuls à moi : Ismaël et Roussy.

Roussy, dont j’avais été le parrain à dix mois, avec Augustine Deviolaine, avait neuf mois de moins que moi, et Ismaël neuf mois de plus.

Enfin, l’heure arriva. On sait quelle fête c’était autrefois, dans une petite ville, que la communion des enfants : c’était le pendant de cette belle Fête-Dieu que l’on a supprimée. L’instinct populaire mettait en face l’un de l’autre, avec un respect presque égal, l’extrême faiblesse et la suprême puissance. Toutes les figures étaient rayonnantes, toutes les maisons fleuries. Au reste, avec mes yeux de treize ans, pleins de jeunesse et de foi, peut-être voyais-je cela ainsi.

Ce jour-là, Hiraux fit des merveilles avec son orgue. C’était, en vérité, un grand artiste ; tout ce que la vie a d’adolescence,