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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/32

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Ce que je lisais, c’étaient les Lettres d’Héloïse et d’Abeilard, mises en vers par Colardeau.

Ma mère m’arracha le livre des mains.

— Voilà une singulière lecture, dit-elle, pour se préparer à une première communion !

Je voulus défendre le livre : je trouvais les exhortations d’Abeilard fort morales, et les lamentations d’Héloïse fort religieuses. Je voulais savoir en quoi les unes ou les autres pouvaient nuire à la contrition parfaite des péchés que j’avais commis, et dont j’allais recevoir l’absolution le lendemain. Ma mère ne jugea pas à propos de me donner la moindre explication là-dessus. Seulement, comme l’abbé Grégoire passait, elle l’appela. L’abbé Grégoire, constitué juge, prit le livre, lut une demi-page, secoua la tête, et dit :

— En effet, les vers ne sont pas bons.

Et il remit le livre à ma mère.

Je dois dire que je n’étais pas de l’avis de l’abbé, et que je trouvais les vers de Colardeau fort splendides.

Qui avait raison de l’abbé ou de moi ? Je suis fort tenté de croire que c’était ma mère.

Le soir, l’abbé Remy me prit à part, après l’instruction, m’expliqua comment, à cause du nom que je portais, de la position sociale que ma mère tenait dans la ville, et surtout de la recommandation de l’abbé Grégoire, il avait consenti à me laisser dire les Vœux du baptême. Il espérait donc que je comprendrais la grandeur de la mission dont j’étais chargé, et que je m’en montrerais digne.

J’avoue que je ne comprenais pas trop l’admonestation. S’il était, parmi les néophytes, un enfant préparé par ses propres impressions à cette solennelle cérémonie, c’était moi. Je sentis avec amertume cette injustice : c’était la première que l’on commettait envers moi.

Depuis, je me suis un peu habitué à ces fausses appréciations qu’on a faites de mes sentiments, de mon caractère et de ma conduite.

Je passai la nuit presque entière sans dormir : l’idée que j’allais me mettre en communication avec le corps divin de