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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/52

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

— Tu ne peux pas lui dire que tu es fâché qu’il se soit donné une entorse ?

— Eh ! non, puisque j’en suis content. Ce serait mentir, et tu sais, maman, comme tu me le défends, de mentir !… Un jour, quand j’étais tout petit, tu m’as fouetté parce que j’avais menti.

— Avez-vous vu un bandit pareil ? dit ma mère.

— Dame ! s’il ne veut pas mentir, cet enfant ! dit en riant madame Darcourt.

— Mais le procès-verbal ! mais les cinquante francs ! s’écria ma mère.

— Bah ! les cinquante francs ! dit madame Darcourt.

— Ah çà ! crois-tu donc que ce n’est rien pour nous que cinquante francs ? dit tristement ma mère.

L’intonation avec laquelle elle prononça ces paroles me serra profondément le cœur, car elle prouvait en effet que, cette perte de cinquante francs, c’était beaucoup, que c’était trop pour ma mère.

J’allais céder, j’allais dire : « Eh bien, j’irai chez cet homme, je lui dirai que je suis fâché qu’il se soit donné une entorse, je dirai tout ce que tu voudras !… » quand, malheureusement pour ma bonne intention, madame Darcourt, qui, comme moi, avait remarqué l’intonation, se retourna de mon côté :

— Écoute, dit-elle, je ne t’ai rien donné cette année pour tes étrennes.

— Non, ni Léonor non plus.

— Ni Léonor non plus ? répéta-t-elle.

— Non plus, répétai-je à mon tour.

— Eh bien, si tu es condamné à payer les cinquante francs en question, nous t’en donnerons chacune vingt-cinq.

— Merci, madame Darcourt… En ce cas, je cours chez M. Creton.

— Pour quoi faire ?

— Pour lui dire que c’est bien fait ; qu’il n’a que ce qu’il mérite ; qu’une autre fois, il ne courra plus après moi ; que…

Ma mère m’attrapa par le bras.

— Voyons, rentre, dit-elle, et va te coucher.