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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/92

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Aussi, voyez-le à l’Élysée, cet homme au regard d’aigle, aux résolutions rapides, à la pensée tenace et absolue ! Est-il l’homme de Toulon, de Lodi, des Pyramides, de Marengo, d’Austerlitz, d’Iéna et de Wagram ? Est-ce l’homme de Lutzen et de Bautzen ? Est-ce même l’homme de Montmirail et de Montereau ? Non, toute son énergie s’est usée dans ce miraculeux retour de l’île d’Elbe.

D’abord, il ne comprend rien à sa défaite. Sans cesse, à Sainte-Hélène, il revient sur cette journée, et remâche cette amère absinthe.

— Journée incompréhensible ! concours de fatalités inouïes ! Grouchy ! Ney ! d’Erlon ! Y a-t-il eu trahison ? y a-t-il eu malheur ?… Et, pourtant, tout ce qui tenait à l’habileté avait été accompli ; tout n’a manqué que quand tout avait réussi !

La Providence, sire !

— Singulière campagne ! murmure-t-il une autre fois, où, dans moins d’une semaine, j’ai vu s’échapper trois fois de mes mains le triomphe assuré de la France, et la fixation de ses destinées ! Sans la défection d’un traître, j’anéantissais les ennemis en ouvrant la campagne ; je les écrasais à Ligny, si ma gauche eût fait son devoir ; je les écrasais encore à Waterloo, si ma droite ne m’eût pas manqué.

Sire, la Providence !

Et une autre fois encore :

— Singulière défaite, où, malgré la plus horrible catastrophe, la gloire du vaincu n’a pas souffert, ni celle du vainqueur augmenté ! La mémoire de l’un survivra à sa destruction ; la mémoire de l’autre s’ensevelira peut-être dans son triomphe !

Non, sire, votre gloire n’a pas souffert, car vous luttiez contre la destinée. Ces vainqueurs qu’on a appelés Wellington, Bulow, Blücher, ces vainqueurs n’avaient que des masques d’hommes, et c’étaient des génies envoyés par le Très-Haut pour vous combattre.

La Providence, sire, la Providence !

Toute une nuit, Jacob lutta contre un ange qu’il prit pour