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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 2.djvu/93

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

un homme ; trois fois il fut terrassé, et, le matin venu, en songeant à sa triple défaite, il pensa devenir fou.

Trois fois aussi vous avez été terrassé, sire, trois fois vous avez senti sur votre poitrine frémissante le genou du vainqueur divin.

À Moscou, à Leipzig, à Waterloo !

Vous qui aimiez tant Ossian, sire, ne connaissez-vous pas cette histoire de Thor, fils d’Odin ? Un jour, il arriva dans une ville souterraine, et dont il ne connaissait pas le nom. Un cirque était ouvert tout garni de spectateurs ; un chevalier, revêtu d’une armure noire, avait lancé son défi. Depuis le matin, il attendait inutilement son adversaire.

Thor entra, marcha droit à ce chevalier sombre et lui dit :

— Je ne sais pas qui tu es ; mais n’importe, me voilà, combattons !

Et ils combattirent depuis le milieu du jour jusqu’à la nuit. C’était la première fois que Thor rencontrait un champion qui lui résistât.

Non-seulement celui-là résistait, mais encore, à chaque instant, Thor sentait qu’il prenait avantage sur lui, et cependant, quoiqu’à chacun de ses coups, tout son corps frémît, tout son sang se glaçât, il ne recula point d’un pas ; et, quand les forces lui manquèrent, quand il lui fallut tomber, il tomba sur un genou, puis sur deux, puis sur une main, et, toujours essayant de combattre, il finit par se coucher, lui, Thor, lui, fils d’Odin, sur la poussière du cirque, haletant, vaincu, expirant !

— En faveur de ton courage, et parce que tu as fait ce que nul n’avait fait avant toi, dit le chevalier noir, je te fais grâce.

Seulement, la première fois que tu me rencontreras et que nous lutterons ensemble, il n’en sera pas ainsi.

— Qui donc es-tu, étrange vainqueur ? dit le fils d’Odin.

— Je suis la Mort, dit le chevalier noir en levant la visière de son casque.

Et Thor fut près d’un an à revenir à la vie pour avoir lutté ainsi contre la Mort.

Il en a été de vous comme de Jacob et de Thor, sire ; vous