Je retournerais à Paris, où l’on me ferait parvenir mon lit, mes matelas, mes draps, mes serviettes, quatre chaises, une table, une commode et deux couverts d’argent ; je louerais une petite chambre, le meilleur marché possible ; j’attendrais là que ma position fût fixée, et, ma position fixée, j’écrirais à ma mère.
Alors, ma mère n’hésiterait plus ; elle vendrait tout, et viendrait me rejoindre.
Le lendemain était un jeudi. Je profitai de ce que j’étais à Villers-Cotterets pour tirer moi-même à la conscription, car mon âge m’appelait à servir ma patrie, si je n’avais point été fils de femme veuve.
Je pris le n° 9, ce qui n’avait aucun inconvénient pour moi, et ne privait pas un autre du bon numéro que j’eusse pu prendre.
Je rencontrai Boudoux, ce vieil ami de marette et de pipée.
— Ah ! monsieur Dumas, me dit-il, puisque vous avez une belle place, vous devriez bien me payer un pain de quatre livres.
Je l’emmenai chez le boulanger ; au lieu d’un pain de quatre livres, je lui en payai un de huit.
Je tenais mon billet de conscription à la main.
— Qu’est-ce que cela ? me demanda Boudoux.
— Tiens, c’est mon numéro.
— Vous avez pris le n° 9, vous ?
— Tu vois.
— Eh bien, une idée, en échange de votre pain de huit livres, monsieur Dumas : à votre place, j’irais chez ma tante Chapuis, et je mettrais une pièce de trente sous sur le n° 9. Trente sous, cela ne vous ruinera pas, et, si le n° 9 sort, cela vous fera soixante et treize francs.
— Tiens, Boudoux, voilà trente sous ; va les mettre en mon nom, et rapporte-moi le billet.
Boudoux partit, écornant de la main droite, par énormes copeaux, son pain qu’il portait sous le bras gauche.
La tante Chapuis tenait à la fois le bureau de la poste et le bureau de la loterie.