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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/137

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Dix minutes après, Boudoux revint avec le billet.

Du pain de huit livres, il ne restait plus qu’une espèce de croûton qu’il acheva devant moi.

C’était juste le dernier jour de la loterie. Je saurais donc le samedi matin, si j’avais perdu mes trente sous ou si j’avais gagné mes soixante et treize francs.

On employa la journée du vendredi à faire les préparatifs de mon emménagement parisien. Ma mère eût voulu me faire emporter toute la maison ; mais je comprenais qu’avec mes douze cents francs par an, plus la chambre serait petite, plus elle serait convenable, et je m’en tins au lit, aux quatre chaises et à la commode.

Restait un léger inconvénient.

J’étais surnuméraire aux appointements de douze cents francs, m’avait dit le général Foy, mais ces cent francs par mois que m’accordait la munificence de monseigneur le duc d’Orléans ne devaient m’être payés qu’au bout du mois. Je n’avais pas l’appétit de Boudoux ; mais, enfin, je mangeais, et même je mangeais bien, — le général Verdier en avait vu quelque chose.

Il me restait trente-cinq francs sur mes cinquante. Ma mère se décida à se séparer de cent francs : c’était la moitié de ce qui lui restait.

Cela me faisait le cœur bien gros de prendre ces cent francs à ma pauvre mère, et j’avais bien envie de recourir à la bourse de M. Danré, quand, au milieu de notre discussion, qui avait lieu le samedi matin, j’entendis la voix de Boudoux criant :

— Ah ! pour cette fois-ci, monsieur Dumas, cela vaut bien un second pain de huit livres.

— Qu’est-ce qui vaut un pain de huit livres ?

— Le n° 9 est sorti ! Vous pouvez passer au bureau de la tante Chapuis, elle vous comptera vos soixante et treize francs. Nous nous regardâmes, ma mère et moi. Puis nous regardâmes Boudoux.

— C’est vrai, ce que tu me dis là, Boudoux ?

— En vérité Dieu ! monsieur Dumas, il est sorti, ce gueux