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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/147

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

nérale du groupe dans les rangs duquel j’ambitionnais une place.

— Pardon, messieurs, demandai-je le plus poliment du monde, mais je voudrais savoir ce qui vous fait rire, afin de pouvoir rire avec vous ? On dit la pièce que nous allons voir jouer fort triste, et je ne serais pas fâché de m’égayer un peu avant de pleurer.

Mon discours fut écouté dans le plus religieux silence ; puis, au milieu de ce silence, une voix s’éleva tout à coup.

— Oh ! c’te tête ! dit la voix.

Il paraît que l’apostrophe était des plus comiques, car à peine eut-elle été lâchée, que les éclats de rire redoublèrent ; il est vrai qu’à peine le redoublement d’éclats de rire s’était-il fait entendre, j’envoyai un vigoureux soufflet au railleur.

— Monsieur, lui dis-je en même temps, je m’appelle Alexandre Dumas. Je demeure, pour demain encore, rue et hôtel des Vieux-Augustins, et, pour après-demain et jours suivants, place des Italiens, no 1.

Il paraît que je parlais une langue tout à fait inconnue à ces messieurs ; car, au lieu de me répondre, vingt poings s’élevèrent menaçants, et toutes les voix crièrent :

— À la porte ! à la porte !

— Comment ! à la porte ? m’écriai-je. Ah ! ce serait joli, par exemple ! moi qui ai payé deux fois ma place, une fois à la queue, et l’autre fois au bureau !

— À la porte ! à la porte ! redoublèrent les voix avec augmentation de fureur.

— Messieurs, j’ai eu l’honneur de vous dire où je demeurais.

— À la porte ! à la porte ! crièrent les voix avec une irrésistible puissance.

Tout le monde était monté sur les banquettes, tout le monde s’inclinait de la galerie, tout le monde se lançait à demi hors des loges. Je formais le centre d’un immense entonnoir.

— À la porte ! à la porte ! criaient ceux-là mêmes qui ne savaient pas ce dont il s’agissait, mais qui calculaient qu’une personne de moins ferait une place de plus.

Je me débattais de mon mieux, au fond de mon entonnoir,