Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/148

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

lorsqu’un monsieur assez bien vêtu fendit la foule, qui, au reste, s’ouvrait respectueusement devant lui, et m’invita à sortir.

— Pourquoi sortir ? demandai-je assez étonné.

— Parce que vous troublez le spectacle.

— Comment ! je trouble le spectacle ?… Le spectacle n’est pas commencé.

— Alors, vous troublez les spectateurs.

— Mais, monsieur !…

— Suivez-moi.

Je pensai à l’histoire que mon père, à mon âge, à peu près, avait eue avec un mousquetaire à la Montansier, et, quoique je susse la connétablie dissoute, je pensai avoir affaire à quelque chose de pareil.

Je suivis donc sans aucune résistance, et au milieu des applaudissements de la salle, qui témoignait sa satisfaction de la justice que l’on faisait de moi. Mon guide me mena dans le corridor, du corridor au contrôle, et du contrôle dans la rue.

Arrivé dans la rue :

— La ! dit-il, ne recommencez plus.

Et il rentra dans la salle.

Je trouvai que j’en avais été quitte à bon marché, puisque mon père avait conservé son garde attaché pendant huit jours à sa personne, tandis que, moi, je l’avais gardé, attaché à la mienne, pendant cinq minutes tout au plus.

Je demeurai un instant sur le boulevard, le temps de faire cette judicieuse réflexion, et, voyant que mon guide était rentré, je voulus rentrer à mon tour.

— Votre billet ? me dit-on au contrôle.

— Mon billet ? Vous me l’avez pris tout à l’heure, et la preuve, c’est qu’il était blanc, et que vous m’avez donné à la place un billet rouge.

— Et qu’en avez-vous fait, de votre billet rouge ?

— Je l’ai donné à une femme qui me l’a demandé.

— De sorte que vous n’avez ni billet ni contre-marque ?

— Mais non, je n’ai ni billet ni contre-marque.

— Alors, vous ne pouvez pas entrer.