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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/218

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Lamartine et Hugo répondent assez bien aux exigences du moment ; ne cherchons pas autre chose.

— Mais Casimir Delavigne ?

— Ah ! c’est différent : Casimir Delavigne est le poëte des bourgeois ; il faut lui laisser sa clientèle, et ne pas lui faire concurrence.

— Alors en comédie, tragédie, drame, qui faut-il imiter ?

— D’abord, il ne faut jamais imiter ; il faut étudier ; l’homme qui suit un guide est obligé de marcher derrière. Voulez-vous marcher derrière ?

— Non.

— Alors, étudiez. Ne faites ni comédie ; ni tragédie, ni drame ; prenez les passions, les événements, les caractères ; fondez tout cela au moule de votre imagination, et faites des statues d’airain de Corinthe.

— Qu’est-ce que c’est que cela, l’airain de Corinthe ?

— Vous ne savez pas ?

— Je ne sais rien.

— Vous êtes bien heureux !

— Pourquoi cela ?

— Parce que vous apprendrez tout par vous-même, alors ; parce que vous ne subirez d’autre niveau que celui de votre propre intelligence, d’autre règle que celle de votre propre éducation. — L’airain de Corinthe ?… avez-vous entendu dire que Mummius eût un jour brûlé Corinthe ?

— Oui ; je crois avoir traduit cela un jour quelque part, dans le De Viris.

— Vous avez dû voir, alors, qu’à l’ardeur de l’incendie, l’or, l’argent et l’airain avaient fondu, et coulaient à ruisseaux par les rues. Or, le mélange de ces trois métaux, les plus précieux de tous, fit un seul métal ; ce métal, on l’appela l’airain de Corinthe. Eh bien, celui qui fera, dans son génie, pour la comédie, la tragédie et le drame, ce que, sans le savoir, dans son ignorance, dans sa brutalité, dans sa barbarie, Mummius a fait pour l’or, l’argent et le bronze ; celui qui fondra à la flamme de l’inspiration, et qui fondra dans un seul moule Eschyle, Shakspeare et Molière, celui-là, mon cher